En effectuant une recherche sur radenviro.ch de longues séries chronologiques avec l’isotope I-131 mesuré dans l’air par les stations « High Volume Sampler – Air: filtres aérosols à haut débit« , trois points sont remarquables.
Premièrement, comme le montre l’illustration ci-après, toutes les stations affichent un grand pic fin mars/début avril 2011. Il s’agit du nuage radioactif, en provenance de l’ouest, survenu après l’accident nucléaire de Fukushima qui atteint l’Europe après environ 3 semaines. Fortement dilué, il ne représentait plus de danger pour l’environnement et la santé.
Deuxièmement: observons la période qui a suivi l’accident de Fukushima. Des symboles triangulaires orange apparaissent représentant des limites de détection. Elles sont généralement inférieures à 1 micro-Becquerel par mètre cube d’air (écrites sous la forme « 1.00e-6 » sur l’échelle en Bq/m3). Mais pas toujours: parfois des limites de détection sont plus élevées lorsque, par exemple le temps d’exposition du filtre des stations de collecte a été raccourci et qu’ainsi peu d’aérosols ont été collectés, ou quand l’échantillon collecté a été mesuré plus tardivement et que l’iode 131, de courte période d’environ 8 jours, s’est déjà partiellement désintégré.
Et troisièmement ?
C’est ici qu’intervient l’organisation européenne pour la recherche nucléaire, le CERN situé près de Genève. Dans l’installation ISOLDE, des cibles appelées « targets » sont bombardées par un faisceau de protons à haute énergie. Les chercheurs produisent ainsi une multitude d’isotopes radioactifs et étudient leur comportement. Ces expériences complexes ont lieu dans de grandes installations d’accélération de particules, fermées et sous vide. Malheureusement, ni l’espace disponible ici, ni les connaissances en physique nucléaire de l’auteur du blog ne permettent d’expliquer ces processus plus en détail. Néanmoins, quelques informations complémentaires sont en lien à la fin de cet article.
Pour l’instant, le seul point important, pour nous, est que les cibles sont régulièrement remplacées. Certains des isotopes fabriqués, à savoir les volatiles, ne laissent pas passer cette occasion et s’échappent dans l’environnement. Quelques-uns d’entre eux ne vont toutefois pas très loin et atterrissent aussitôt sur le filtre de notre collecteur d’aérosols à haut volume (HVS) installé au CERN. C’est ainsi que nous détectons, parfois, des traces de différents isotopes radioactifs de l’élément volatile qu’est l’iode. Le plus souvent, nous détectons l’iode 131, dont la demi-vie est de 8 jours. L’iode-126 (demi-vie de 13 jours) et l’iode-124 (demi-vie de 4 jours) sont également présents, de manière épisodiques, à de plus faibles concentrations.
Le graphique, ci-dessus, rassemble les valeurs mesurées de tous les échantillons HVS depuis 2012 pour lesquels un petit signal d’iode-131 a pu être détecté. Cela a été le cas pour près de 2 % de presque 3’600 échantillons analysés durant cette période. Le graphique montre que la majeure partie des échantillons présentant un résultat positif à l’iode 131 proviennent de la station du CERN (triangle orange). Pour les valeurs supérieures à 2 micro-Becquerel par mètre cube, c’est pratiquement toujours le cas. Deux périodes n’affichent pas de valeurs d’iode 131 dans les échantillons d’air extérieur au CERN. Elles correspondent aux longues interruptions de fonctionnement d’ISOLDE, nommées « long shut-down 1 » et « long shut-down 2 ». Lors du premier « long shut-down » d’ISOLDE, un robot a été installé pour effectuer le changement des cibles. Lorsqu’ISOLDE est en activité, le robot est utilisé environ tous les dix jours et nous pouvons alors mesurer un peu d’iode 131 une à deux fois par mois. Les concentrations sont généralement de quelques micro-Becquerels par mètre cube d’air : c’est plusieurs fois (facteur 100’000 !) inférieur à la valeur limite d’immission pour l’iode-131 et donc sans danger pour la santé.
Le CERN a d’ailleurs prévu d’installer des filtres à charbon actif supplémentaires à ISOLDE. Ainsi, les jours où nous pourrons nous vanter d’avoir détecté des traces infimes d’iode radioactif en provenance d’ISOLDE pourraient bien être comptés.
Les quantités infimes d’iode-131 qui apparaissent de temps à autre dans d’autres stations HVS proviennent d’applications thérapeutiques de cet isotope en médecine. Des résidus de ce « iode médical » peuvent par exemple être libérés dans l’air lors de l’incinération de déchets hospitaliers.
Pour des informations supplémentaires sur ISOLDE : ISOLDE; Meet ISOLDE: Target Production – YouTube